Le Dormeur du Val

Aux Éditions Don Quichotte

  

Prix Actu du Populaire du Centre du festival Lire à Limoges

Lauréate du Prix Sylvie Turillon du Festival Blues & Polar de Manosque

Présentation

Fabienne Boulin Burgeat est la fille de Robert Boulin. Depuis maintenant trente ans, elle se bat pour faire reconnaître l’assassinat de son père, malgré les « dysfonctionnements » de la justice et de la police judiciaire et malgré les mensonges, les pressions et les menaces.

“En 1958 j’avais 6 ans quand mon père fut élu député, 9 ans quand il devint ministre et 28 ans en 1979 quand, toujours ministre, il est mort assassiné. Pressions, menaces, intox, expertises sabotées, autopsie incomplète sur ordre du procureur, vols des pièces à conviction à chaque fois que nous en demandons l’analyse, encore en juin 2010… A la manière d’un roman policier j’emmène avec moi le lecteur dans les coulisses de la Cinquième République, au cœur de la conspiration qui depuis 31 ans continue aujourd’hui encore à cacher aux français la vérité sur l’assassinat d’un homme d’état qu’ils ont aimé, et qui allait devenir Premier ministre.”
Le Dormeur du Val dénonce la collusion entre Pouvoir politique,Police judiciaire et Parquet qui pourrit nos institutions et menace gravement nos libertés à tous.

 

Extrait

« L’affaire Boulin, si on la regarde dans tous ses aspects, aurait dû faire éclater au grand jour bien des réalités de notre vie politique. Faire sonner le glas d’une société, comme l’a dit Monseigneur Poupard. Une instruction fiable aurait établi immédiatement l’assassinat. La révélation de l’assassinat du vétéran des ministres en exercice, à cinquante-neuf ans seulement, avec un avenir encore brillant de promesses devant lui, aurait certainement généré des turbulences fortes, mais sans doute salutaires, pour notre démocratie.

Achille Peretti,haute personnalité politique de l’époque, est venu voir ma mère après la mort de mon père en lui proposant beaucoup d’argent pour faire taire ses doutes sur le suicide. Lorsque, tout en repoussant son offre, celle-ci lui dit tout savoir, Achille Peretti lui lança violemment : « Alors faites sauter l’État ! ». Mais un consensus mou s’établit pour convertir ce crime d’État en affaire privée. Pas un député ne prit l’initiative de demander une commission d’enquête à l’Assemblée Nationale sur les circonstances de la mort de mon père, alors qu’il s’en est trouvé naguère pour en proposer une sur les conditions de la défaite de l’Équipe de France au Mondial de foot. Peu d’hommes politiques, à de rares exceptions près se sont levés pour exiger que la vérité soit faite.

Quelques jours après la mort de mon père le porte-parole du groupe socialiste, Laurent Fabius, posa une question au Premier ministre. Il y soulignait que la mort de Robert Boulin avait soulevé, au-delà des divergences d’opinion politique, une émotion considérable, et poursuivait : « L’opinion éprouve… en même temps que de l’émotion, une grande perplexité. Les motifs, les circonstances, les conditions exactes, tout cela n’apparaît pas clair… êtes-vous réellement prêt à rechercher la vérité ? Qui nous garantit qu’une fois de plus elle ne sera pas étouffée ? ». Raymond Barre botta en touche : « Il y des instructions en cours. Il n’y a pas d’affaire Boulin, il y a une affaire Groult-Tournet ». Peut-être changea-t-il d’avis par la suite lorsqu’il s’aperçut que, comme d’autres responsables de l’État, il avait été en fait informé de la découverte du corps six heures avant l’heure officielle de celle-ci !

Dans ce dossier, l’impunité reste la règle. Une impunité censée peut-être protéger la raison d’État mais qui met gravement en cause notre démocratie. Aucune condamnation n’a été prononcée pour les vols de scellés, les destructions de preuves, l’embaumement illégal du corps, les mensonges répétés aux autorités judiciaires, les menaces, les freins trafiqués, les faux en écriture publique, les pressions sur un maire, le harcèlement, la non-dénonciation de crime. Une impunité sélective cependant puisqu’au détour de notre combat judiciaire c’est nous qui fûmes un jour condamnés par les tribunaux, ma mère mon frère et moi, comme quelques années avant nous un journaliste comme Philippe Alexandre qui avait eu le courage de vouloir informer ses auditeurs.Les auteurs et commanditaires de la mort de mon père semblent donc pouvoir continuer à vaquer tranquilles à leurs occupations. La vérité reste interdite. Comment pour l’avenir empêcher que ne se reproduisent dans notre pays ces pratiques d’ancien régime ? Comment faire la lumière quand on se trouve face à la volonté de silence ? Comment faire face à cette « nocive persévérance » de la raison d’État ? Ou plutôt de la raison privée d’État. Car garder le silence sur l’assassinat de Robert Boulin ne sert que des intérêts privés, en aucun cas l’intérêt général. »

 

Entretien de Fabienne Boulin paru dans l’Ardennais du 19 Avril 2010

- Dans la presse, vous évoquez généralement le dossier, la chape de plomb, l’enquête bâclée. De vous, on sait peu de chose. Où puisez-vous, par exemple, l’énergie de batailler ainsi depuis 30 ans ?
- Dans mes racines. Quand on a été baigné d’amour toute la vie, on a beaucoup de force. J’ai été élevée par des parents exceptionnels, aimants, d’une infinie douceur, des Girondins idéalistes pour qui l’injustice était insupportable. Mon père avait 22 ans lorsqu’il est entré dans la Résistance, et il m’a transmis des valeurs fondatrices, tel le sens du devoir, de l’équité. Nous sommes ainsi, dans la famille. Solides.
- Malgré l’épreuve des deuils : votre père, votre mère, puis votre frère…
- Peut-être d’autant plus, justement : je leur dois la vérité. Et jamais je ne laisserai tomber. Je veux que le dossier soit rouvert, qu’une enquête digne de ce nom soit menée et que l’on sache qui a tué mon père. Je veux avoir raison de ses ennemis. Pour lui, mais aussi pour ma grand-mère qui a enterré son fils, et pour ma mère qui a enterré son mari et mon frère…
- Quel est votre dernier souvenir de lui ?
- Mon père à quatre pattes sur un tapis du salon avec mes fils, ses deux petits-enfants qu’il portait sur le dos. Il les adorait.
- Vos fils n’avaient pas deux ans, votre fille n’était pas née. Comment ont-ils vécu ces trente dernières années ?
- J’ai longtemps redouté que ce soit trop lourd pour eux d’avoir une mère toujours dans le combat. Mais ils ont compris : c’est leur histoire et ils sont très solidaires. Ils ne me voient pas comme une victime. Et ne croyez pas que je sois obsédée : j’ai aussi, depuis 40 ans, un mari formidable, nous avons plein d’autres choses dans notre vie, le goût des moments de bonheur simple comme de lire au pied des pins. Quand mon époux prendra sa retraite, nous voyagerons et écrirons nos mémoires à deux voix…
- Même si la justice choisit de ne jamais réexaminer au fond le dossier ?
- Non. Tant qu’il ne sera pas prescrit, je continuerai à porter le fer contre ce grand escamotage. Et j’y arriverai. Regardez, nous avons déjà réussi à transformer une enquête bâclée de 40 pages en un dossier haut de 1,50 mètre ! Le temps joue en notre faveur. Les témoins n’ont plus peur de parler…
- De votre père, la France conserve l’image d’un grand gaulliste, un serviteur de l’État. Qui était-il dans l’intimité ?
- Un homme droit, vertueux, sans ego, très dévoué, surtout pas vénal. Il n’était pas dans le paraître. Il détestait les mondanités, préférant se donner à fond à son boulot et à sa famille. Je me souviens des campagnes électorales avec lui, sur les marchés : il se souciait vraiment des gens. Mon père avait de l’épaisseur. Il était à mille lieues du « tout à l’ego » des hommes politiques d’aujourd’hui…